Vous êtes directeur Emploi-Formation de l’UIMM, pouvez-vous expliciter ce que recouvre votre fonction ?
David Derré : Concrètement, j’agis sur quatre axes principaux. En premier lieu la formation professionnelle et l’apprentissage, qui concernent aussi bien les salariés en fonction que les personnes en formation, des niveaux Bac -3 à Bac +5. Je suis de près les évolutions de l’Éducation nationale, comme par exemple récemment la réforme des lycées professionnels, car l’UIMM doit pouvoir faire entendre sa voix et exprimer les attentes des entreprises industrielles. Le deuxième axe concerne les certifications professionnelles et le travail sur les référentiels des diplômes et titres délivrés : nous participons à toutes les instances consultatives qui valident ces diplômes ou les révisent ; de même, notre branche a engagé la révision de ses 140 Certificats de Qualification Paritaires de la Métallurgie (CQPM). Ensuite, nous suivons et contribuons activement aux travaux du Conseil National de l’Industrie (CNI), ainsi que les Contrats Stratégiques de Filières, dont 10 sont sur le champ de la métallurgie. Enfin, le dernier axe concerne l’emploi, car si la formation est évidemment fondamentale, le diplôme n’est pas une fin en soi. L’économie a besoin de tous les niveaux d’études et il est nécessaire que les formations professionnalisantes répondent aux besoins de recrutement des entreprises, il faut bien faire comprendre cela aux pouvoirs publics. Aussi nous sommes extrêmement attentifs à l’évolution du marché du travail, comme par exemple le projet France Travail (Pôle emploi, Missions locales, Cap Emploi). Nous nous positionnons comme une force de proposition via des partenariats étroits avec les cinq acteurs majeurs de l’emploi. Notre force réside en les remontées directes du terrain de nos 58 UIMM territoriales, ainsi que de nos 10 fédérations professionnelles.
À propos de formation, pourquoi l’UIMM a-t-elle développé ses propres offres ? Cela ne vient-il pas télescoper les dispositifs existants ?
Pas du tout, au contraire ! Nos offres en matière de formation viennent compléter celles proposées. Pour comprendre, il faut retourner une quarantaine d’années dans le passé : l’UIMM considérait que l'Éducation nationale révisait trop lentement ses référentiels de diplômes, créant un décalage avec l’évolution des réalités du travail dans les entreprises, qui avançait plus vite. De même, l’apprentissage restait peu développé dans l’industrie. L’UIMM et ses représentants territoriaux ont alors décidé de créer leur propre réseau d’organismes de formation professionnelle (AFPI) et d’apprentissage (CFAI), désormais intitulé « Pôles formation UIMM ». Cette démarche montre la capacité d’innover et de tester de l’UIMM, qui doit aussi servir d’aiguillon pour bousculer un peu et faire évoluer les pouvoirs publics. Aujourd’hui, nous comptons une trentaine de Pôles formation UIMM en France, répartis sur 135 centres physiques, qui forment chaque année 35 000 apprentis du CAP à l’ingénieur, 130 000 salariés et 15 000 demandeurs d’emploi, pour un chiffre d’affaires consolidé de 500 millions d’euros.
Pouvez-vous nous faire un focus sur le secteur de l’industrie métallurgique ?
Aujourd’hui, la métallurgie compte 42 000 entreprises, dont 90 % sont des PME, pour quelque 1,6 millions de salariés. C’est une branche professionnelle qui regroupe des secteurs économiques très larges, bien plus qu’on ne l’imagine couramment. Sont intégrés à la branche des secteurs très variés : fabrication automobile, navale, aéronautique, ferroviaire, aérospatiale… Bref, ce secteur va de l’artisan ferronnier à la fusée Ariane ! Il comprend également tous les fabricants électriques et électroniques, sans oublier la mécanique de précision, la fonderie, la sidérurgie, le nucléaire privé, avec des poids-lourds comme Orano ou Thalès.
La métallurgie représente près de 60 % de l’industrie. Quelle est la situation de l’emploi dans le secteur de la métallurgie ?
Nous suivons toutes les statistiques officielles relatives à l’évolution du marché de l’emploi, que nous complétons par des études produites par notre Observatoire paritaire de la métallurgie, qui assure la prospective et l’analyse de l’évolution des métiers et des qualifications de la métallurgie. Il a pour missions principales d’anticiper les évolutions de l’emploi des métiers et des qualifications, d’identifier les facteurs d’évolutions technologiques, industrielles, démographiques et organisationnelles et de développer les qualifications nécessaires pour répondre aux besoins en compétences des entreprises. Nous estimons ainsi que les besoins de recrutements sont de 110 000 personnes par an jusqu’en 2025, et actuellement nous travaillons sur des projections à l’horizon 2035, ce qui permet de nous préparer, nous adapter. L’étude sortira bientôt. Il y a des besoins dans tous les domaines, sachant que les métiers les plus en tension sont ceux dits « techniques », du niveau CAP à celui d’ingénieur. Selon Pôle Emploi, sur les quelques 350 000 emplois dits vacants, 60 à 70 000 concernent l’industrie, dont 30 000 dans la métallurgie… Il y a donc de fortes difficultés de recrutement, et dans le top 10 des métiers les plus difficiles à pourvoir en termes de postes qualifiés, deux concernent l’industrie.
A propos de David Derré
Diplômé de Sciences-politiques Rennes (35), et titulaire d’un Master 2 en environnement décerné par l’université du Mans (72), David Derré a commencé à exercer en Bretagne, où durant sept ans il a été responsable « environnement » dans plusieurs syndicats professionnels. Directeur délégué de l’UIMM de Bretagne pendant quinze ans, il a également endossé la charge de directeur général d’un organisme de formation industrielle durant sept ans. Son parcours l’a ensuite conduit au poste de directeur général de la CCI des Côtes d’Armor, avant d’intégrer, en juin 2018, l’UIMM, ès qualité de directeur Emploi-Formation.
Quels sont les grands enjeux, les perspectives majeures du secteur de la métallurgie, pour préparer l’avenir ?
Nous avons identifié quatre défis à relever. Le premier, c’est la compétitivité : il est impératif que notre secteur soit plus compétitif, dans un contexte où il est très exposé à la concurrence et à la compétitivité internationale. Le deuxième, c’est la transformation numérique : il nous faut avoir une vision 4.0 et anticiper les prochaines évolutions technologiques majeures, de la plus petite TPE aux grands groupes rayonnant à l’international. Le troisième, c’est la transition écologique et énergétique : au moment où je vous parle, un projet de loi lié à l’industrie verte est en cours de discussion. Notre secteur porte bien évidemment sa part de réponses et solutions industrielles aux problématiques actuelles, dans la lutte contre le réchauffement climatique. Prenons l’exemple de la société Delta Dore, spécialisée en domotique, qui apporte des solutions innovantes. La relance du nucléaire va également contribuer à la décarbonation, tout comme le développement de l’éolien terrestre ou offshore, du photovoltaïque, etc. Et enfin, le quatrième, c’est la réindustrialisation de notre pays : c’est un cap fixé par le président Macron, un enjeu décisif pour les dix ou vingt prochaines années. La crise du COVID a permis de faire prendre conscience de la grande fragilité et de la vulnérabilité de nos chaînes d’approvisionnement. Il nous faut reconquérir notre souveraineté industrielle dans les secteurs technologiques clés, et pour cela il est nécessaire de préparer et disposer des ressources humaines nécessaires… Et justement, c’est là que nous retombons dans les difficultés de recrutement.
On le constate partout, c’est inéluctable, les métiers changent, notamment avec l’avènement des évolutions technologiques et les fortes préoccupations environnementales. Quelles sont les incidences directes sur la métallurgie, comment le secteur s’adapte-t-il et effectue-t-il sa mutation ?
Les entreprises industrielles prennent en compte les enjeux environnementaux depuis plus de trente ans. Prendre le virage de l’économie verte nécessite beaucoup d’efforts et d’investissements. Et si beaucoup a déjà été fait, il faut accélérer et aller encore plus loin, c’est évident. Sans omettre l’aspect très important du volet RSE, qui doit nous préoccuper. D’ailleurs, l’UIMM met en place un label, et donc une démarche dédiée à la RSE, afin d’accompagner dans leur mutation les TPE et PME. Par ailleurs, une étude de l’Observatoire inter-industriel de l’OPCO 2i a été réalisée concernant l’impact de la transition écologique sur les compétences industrielles. Sa conclusion est la suivante : au final, cela génère peu de créations de nouveaux métiers « verts », mais on observe en revanche que toutes ces évolutions ont déjà et auront un impact en termes de « verdissement » des compétences de métiers déjà existants. Et si besoin est, pour accompagner les entreprises dans ces mutations et valider ces nouvelles compétences, nous créons de nouveaux CQPM, comme par exemple sur les batteries électriques ou sur la fabrication additive. En cela réside une de nos forces : la réactivité par rapport aux besoins du marché du travail.
Quelle est la politique de l’UIMM en matière de formation et de qualification sur les premiers niveaux ?
Nous travaillons et collaborons avec tous les acteurs du marché de l’emploi, et à destination de tous les publics. Les besoins, importants en main d’œuvre, font que nous ne négligeons aucun public, aucun acteur, aucun dispositif. Avec l’Éducation nationale, dans le cadre de la réforme de la voie professionnelle, mais aussi avec Pôle emploi pour les demandeurs d’emploi et les Missions locales pour les jeunes par exemple. Il faut impérativement redonner de l’attractivité, de la noblesse, aux filières techniques et technologiques. Une des réponses apportées à cette problématique, ce sont les écoles de la production, ajustées localement aux besoins, qui forment des jeunes de 15 à 18 ans opérationnels. Penchons-nous également sur l’intérim. Il y a environ de 800 000 intérimaires en France, dont 200 000 dans l’industrie… Il y a là un vivier, un réservoir, de personnes à former, qualifier, puis intégrer dans les entreprises. Par ailleurs, la métallurgie est l’une des quatre branches retenues pour tester la réforme de la VAE, à compter de juillet 2023. Jusqu’à présent, la VAE était un vrai parcours du combattant administratif et financier ! La réforme vise à simplifier le dispositif et, si cela fonctionne bien, permettre à bien plus de personnes de se former ou de monter en compétences.
Le réseau des Geiq compte plus de 20 Geiq dans le secteur de l’industrie. Comment les Geiq, l’UIMM et les entreprises travaillent ensemble et comment imaginez-vous l’avenir avec les Geiq ?
Le réseau Geiq est un partenaire important de l’UIMM, puisqu’on dénombre exactement 22 Geiq « industrie », et l’UIMM participe au Conseil d’administration de la Fédération Française des Geiq depuis quelques années maintenant. Nos relations sont de plus en plus étroites car les Geiq apportent des solutions concrètes, rapides et de terrain à des problématiques liées à l’emploi, au recrutement, à la formation et à la qualification. C’est pourquoi localement ces collaborations croissent et se renforcent, notamment grâce à la capacité des Geiq à pouvoir répondre aux besoins des entreprises sur des territoires donnés, presque du sur-mesure. Nous sommes donc très optimistes et positifs quant à notre avenir commun, et nous soutiendrons tout projet de création de formation. Créer des passerelles entre nos formations et le public des Geiq permet de renforcer nos synergies, d’autant que nous sommes dans une même démarche et partageons un même état d’esprit.
D'importants besoins en recrutement dans trois métiers en tension
Dans son étude la plus récente, datée de 2019, le Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) a analysé les tensions de recrutement sur trois métiers : chaudronnerie, maintenance et soudage, lesquels concernaient 180 000 salariés, dont plus de 25 % partiront à la retraite d’ici 2029 :
- Métiers de chaudronnerie : les besoins en recrutement sont estimés à 7 120 personnes. En 2019, 3 390 personnes ont été formées à ce métier. Ces besoins seront renforcés dans les prochaines années par un nombre croissant de départs en retraite : 13 % soit 4 750 en 2014, et 28 % soit 10 230 en 2029.
- Métiers de soudeurs : les besoins en recrutement sont estimés à 8 360 personnes. En 2019, 4 680 personnes ont été formées à ce métier. Ces besoins seront renforcés dans les prochaines années par un nombre croissant de départs en retraite : 12,4 % soit 4 270 personnes en 2024, et 26 % soit 10 445 personnes en 2029.
- Métiers de techniciens de maintenance : les besoins en recrutement sont estimés à 33 990 personnes. En 2019, 18 500 personnes ont été formées à ces métiers. Ces besoins seront renforcés dans les prochaines années par un nombre croissant de départs en retraite : 11,6 % soit 13 345 personnes en 2024, 25 % soit 30 000 personnes en 2029.
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