Comment l'alternance, et plus précisément le contrat de professionnalisation, est un outil dans l'insertion des demandeurs d'emploi ?
Thibaut Guilluy : Nous sommes encore dans une période assez paradoxale dans laquelle le nombre d’emplois vacants est important, alors que le nombre de demandeurs d’emploi est stable. Nous devons donc nous saisir de tous les outils disponibles pour faire en sorte que, d’un côté, l’ensemble des demandeurs d’emploi intègrent le marché du travail, et de l’autre, que les entreprises s’ouvrent à des profils différents. Le contrat de professionnalisation est un de ces outils et parce qu’il s’exerce en situation réelle, sur le terrain, c’est un levier d’insertion et d’apprentissages extrêmement puissant. En 2023, 70 % des bénéficiaires d'un contrat de professionnalisation ont accédé à un emploi durable dans les six mois suivant la fin de leur contrat. En plus, ce contrat s’adresse à un large public cible : les demandeurs d’emploi de plus de 26 ans, les jeunes âgés de 16 à 25 ans révolus, les bénéficiaires du RSA, de l’ASS (Allocation de Solidarité Spécifique), de l’AAH (allocation aux adultes handicapés) ou d’un contrat unique d’insertion. Nous sommes donc mobilisés aux côtés des Geiq afin d’élargir le nombre de bénéficiaires de ce contrat, qui combine formation et expérience professionnelle.
Selon France Travail, quels sont les atouts majeurs des contrats de professionnalisation ?
Le principal atout : un contrat gagnant-gagnant ! Pour les candidats, le contrat de professionnalisation permet d’acquérir une expérience professionnelle rémunérée, d’obtenir une qualification reconnue tout en développant ses compétences et ainsi faciliter l’insertion sur le marché
du travail grâce à un taux d’embauche élevé après le contrat. Pour les employeurs, il permet de recruter et former des talents adaptés à leurs besoins, d’intégrer durablement le salarié dans la culture d’entreprise tout en bénéficiant d’aides à l’embauche et près de 80 % des entreprises qui ont recruté avec un contrat de professionnalisation ont déclaré avoir intégré durablement leurs alternants au sein de leurs effectifs.
En résumé, les contrats de professionnalisation sont un véritable levier. Ils permettent une montée en compétences rapide et pratique, répondent aux besoins des employeurs et favorisent une insertion durable des individus sur le marché du travail.
Quels sont les publics prioritaires pour France Travail concernant la signature de contrats de professionnalisation ?
Tous les publics éloignés de l’emploi sont prioritaires pour France Travail ! Et ce contrat permet justement d’adresser une cible large. Nous devons nous en saisir car c’est autant d’opportunités pour des personnes qui en sont quelquefois privées. Et si avant l’embauche en contrat de professionnalisation, une formation pour notamment remettre à niveau est nécessaire, nous pouvons proposer une Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE) qui permet de préparer le candidat à sa prise de poste. Ce parcours POE plus contrat de pro est particulièrement efficace pour les publics éloignés de l’emploi.
Comment France Travail se met en mouvement pour promouvoir le contrat de professionnalisation ? Depuis quand et quelle est votre politique à ce sujet ?
En octobre dernier, nous avons lancé la marque France Travail Pro, qui répond à un objectif : être le partenaire RH des employeurs pour libérer leur potentiel d’embauche et accélérer le développement économique des territoires. Notre offre de services pour les entreprises s’est considérablement développée, mais peu d’entre elles le savent encore ! C’est seulement 25 % des entreprises en France qui font appel à nos services, alors que quand elles le font, elles sont 87 % à en être satisfaites. Nous avons donc un enjeu massif à aller vers elle pour leur proposer nos solutions pour leurs recrutements.
Chaque jour, nos 6 000 conseillers France Travail Pro, qui justement vont à la rencontre des recruteurs, participent à la mise en lumière du contrat de professionnalisation. Ils accompagnent les employeurs dans les différentes étapes de mise en oeuvre de ce dispositif, et mobilisent les aides financières disponibles (comme l’Aide Forfaitaire à l’Employeur ou la prime à l'embauche d'un senior). Au niveau national ou régional, nous développons également des partenariats stratégiques avec des entreprises de différents secteurs, branches et OPCO, pour créer des parcours de professionnalisation adaptés aux besoins spécifiques du marché du travail. Nous sommes aussi dans une collaboration étroite avec les centres de formation pour garantir que les formations proposées dans le cadre des contrats de professionnalisation soient de qualité et répondent aux exigences des employeurs.
Enfin, nous organisons de nombreux événements chaque année pour promouvoir le contrat de professionnalisation auprès des demandeurs d’emploi, via notamment la Semaine nationale de l’alternance. En 2024, ce sont plus de 450 événements (jobs datings, visites d’entreprises - CFA, ateliers d’informations : découverte métiers, formations, employeurs et salons) qui ont été organisés en lien avec les entreprises, les organismes de formation et bien sûr… les Geiq !
Quels outils ou ressources spécifiques France Travail met-il en place pour accompagner les publics éloignés de l’emploi ?
Nous avons un défi majeur : ne laisser personne au bord de la route ! Avec le bon accompagnement, chacun peut intégrer le marché du travail. C’est tout l’objectif de France Travail. Au 1er janvier 2025, toutes les personnes sans emploi devront être inscrites à France Travail (notamment les bénéficiaires du RSA). Cette étape sera cruciale, car s’inscrire c’est déjà identifier et repérer : c’est le préalable à tout accompagnement.
L’expérimentation que nous menons actuellement avec 49 départements, sur l’accompagnement rénové des allocataires du RSA, et qui sera généralisée au 1er janvier, donne des résultats très encourageants. D’une part, nous avons considérablement réduit le délai entre la demande de RSA et le premier entretien de suivi. Mais nous avons aussi de bons résultats sur l’insertion : 54 % des allocataires ont accédé à un emploi dans les 12 mois suivant leur entrée en parcours ! Et ces chiffres sont également à mettre en face des profils qui sont accompagnés dans cette expérimentation, puisque 62 % des bénéficiaires sont au RSA depuis plus de 2 ans et 40 % le sont depuis 5 ans.
Nous devons nous appuyer aussi toujours plus sur les spécialistes de l’inclusion dans l’emploi que sont notamment les acteurs de l’IAE et les Geiq qui sont à la croisée des potentiels éloignés de l’emploi et des employeurs prêts à recruter. Accompagner les profils les plus éloignés de l’emploi nécessite aussi d’encourager les employeurs à s’ouvrir à une plus grande diversité de talents. Et on y arrivera en les aidant à dépasser la logique du recrutement sur CV, grâce à des méthodes de recrutement plus inclusives. Méthode de recrutement par simulation pour tester ses habiletés, immersions en entreprise pour confirmer un recrutement, stades vers l’emploi pour recruter via le sport… sont autant de façons pour les entreprises de recruter de manière plus inclusive.
Le partenariat entre les Geiq et France Travail vient d'être renouvelé. Quels sont les bénéfices communs pour les deux structures ?
Le renouvellement du partenariat entre les Geiq et France Travail est une excellente nouvelle. En 2023, 9 486 embauches ont été réalisées au sein des 7 726 entreprises adhérentes. 10 % des publics recrutés ont bénéficié d’un dispositif d’insertion, et 24 % des embauches ont été réalisées suite à des orientations par France Travail.
L’un des objectifs de ce partenariat est d’accroître la mobilisation de l’offre de services de France Travail par les Geiq. Avec la création de l’Académie France Travail, nous mettons à disposition des formations sur notre offre de service, et réciproquement. Ouverte à la rentrée dernière, cette plateforme de formation est accessible à l’ensemble des 160 000 professionnels de l’emploi et de l’insertion. Ce partenariat conforte également les liens entre nos deux entités sur le triptyque « employer – former – accompagner » pour aider les entreprises à recruter, aller vers les personnes éloignées de l’emploi, construire des parcours de formation et de qualification menant à l’emploi durable et accompagner dans chaque région et territoire les coopérations opérationnelles entre France Travail et les Geiq. Ensemble, nous créons une synergie qui profite aux demandeurs d'emploi, aux employeurs et à l'ensemble des acteurs du Réseau pour l’emploi !
Les Geiq jouent un rôle essentiel dans l’insertion professionnelle et la qualification. Quel rôle attribuez-vous à ces structures dans la stratégie globale de France Travail ?
Les Geiq jouent un rôle essentiel dans la stratégie globale de France Travail. Ils sont des alliés de poids. La création de France Travail porte l’ambition d’une plus grande coopération entre tous les acteurs de l’emploi et de l’insertion. C’est tout l’objet du Réseau pour l’emploi, dont les Geiq font partie. Aujourd’hui, les acteurs travaillent encore en silos, alors que chacun a un morceau de la solution. Nous devons faire en sorte que ce Réseau pour l’emploi soit au rendez-vous de nos usagers. L’une des forces des Geiq est de proposer des parcours sur-mesure. Ils offrent aux demandeurs d’emploi à la fois une expérience professionnelle en entreprise et une formation solide. C’est essentiel. Ils permettent aux individus de monter en compétences directement dans un environnement de travail concret.
Et puis, il ne faut pas oublier la mission d’inclusion des entreprises adhérentes à un Geiq. Ces entreprises font un travail remarquable pour créer des emplois en faveur des publics les plus fragiles. Je pense aux jeunes, aux seniors, aux personnes en situation de handicap ou issues de quartiers prioritaires. C’est pour ça que les Geiq sont fondamentaux dans notre belle mission d’insertion par le travail pour tous, et que j’ai toujours encouragé leur développement, que ce soit en portant le pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique, ou en encourageant à travers le réseau Les entreprises s’engagent à recourir plus fortement aux Geiq. Continuez à vous développer, France Travail sera toujours à vos côtés !
A propos de Thibaut Guilluy
Thibaut Guilluy a été nommé le 12 octobre 2020 Haut-commissaire à l’Emploi et à l’Engagement des entreprises, auprès de la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Elisabeth Borne. Il est ensuite nommé directeur général de France Travail en Conseil des ministres le 12 décembre 2023. Diplômé de l’ESCP, Thibaut Guilluy a une expérience de vingt ans dans l’inclusion avec la création d’une dizaine d’associations et d’entreprises sociales.