Comment avez-vous eu l’idée, ou l’intuition, de lancer des parcours Geiq dans le secteur du numérique ?
Sophie Audugé : Nous concernant, si la création effective remonte à février 2019, et un réel début d’activité en mars 2020, cela faisait suite à deux années d’un travail territorial conduit avec les acteurs économiques de notre territoire. Nous étions en réflexion depuis 2017 sur l’idée de savoir comment favoriser l’accès à l’emploi. Nous nous sommes rendu compte que tous les secteurs d’activité avaient forcément recours au numérique, et donc à différentes compétences, d’où l’idée de créer un Geiq 100 % numérique, porté par cinq entreprises fondatrices. Aujourd’hui, nous comptons une douzaine d’adhérents et une trentaine de contrats d’alternance mis en place. Nous étions le premier Geiq à investir ce secteur porteur du numérique, les pionniers !
Carine Martin : Je gère plusieurs Geiq depuis 20 ans en région Rhône-Alpes et c’est suite à des besoins internes en numérique que l’idée nous est venue de créer des parcours dédiés. Puisque le système Geiq fonctionne dans tous les domaines économiques, pourquoi ne marcherait-il pas également dans le numérique ? En 2021, j’ai alors rencontré Sophie, afin d’échanger autour du sujet, puisque son Geiq était créé et lancé. Parallèlement, nous lancions une étude de faisabilité qui a abouti à la création, en janvier 2022, de notre Geiq 100 % numérique et le lancement des premiers parcours « développeurs web » en juin de la même année. Nous sommes donc tout neufs ! À ce jour vous êtes les deux premiers – et seuls – Geiq numériques.
Quelles méthodes mettez-vous en œuvre afin de faire connaître vos parcours ?
Carine Martin : Eh bien tout est à faire ! Il faut informer, éduquer, expliquer, activer nos réseaux… Cela prend du temps et beaucoup d’énergie, mais c’est nécessaire pour convaincre, dans un secteur pas du tout habitué au dispositif Geiq. Si les DRH voient bien la pertinence de notre démarche, il en est tout autre pour les opérationnels qui ne nous connaissent pas du tout, et encore moins le public que nous accompagnons. Habituellement, ce secteur a recours à des consultants externes pour satisfaire rapidement leurs besoins et les employeurs ne voient pas immédiatement la pertinence d’accueillir un alternant, ce qui implique qu’il soit obligatoirement accompagné à moyen terme par un tuteur d’entreprise.
Sophie Audugé : Clairement, il faut évangéliser le secteur du numérique ! Expliquer, vaincre les appréhensions, les peurs, les incompréhensions, être en capacité de prouver la pertinence et la qualité de nos parcours spécifiquement créés au regard des besoins des marchés de l’emploi locaux. Autre difficulté : nos structures s’autofinancent et nos efforts de prospection ne sont pour le moment pas rentables, même si ce n’est pas l’objectif immédiat. En fait, nous considérons cela comme un investissement sur l’avenir car nous y croyons très fort. [NDLR : Carine Martin abonde totalement dans ce sens.]
Des formations qualifiantes de BAC à BAC+3
Le Geiq Numérique des Alpes propose deux parcours professionnels qualifiants : technicien assistance informatique et développeur web et web mobile. De niveau Bac, le premier contient 6 à 8 semaines de formation de départ (pré-qualification), avec un rythme d’alternance de trois semaines en entreprise et une semaine en formation, sur une durée d’un an. Démarrage du prochain parcours début 2024. Le second permet d’accéder à un titre professionnel de niveau Bac+2, avec trois mois de formation initiale puis un parcours en alternance au rythme de trois semaines en entreprise et d’une semaine en formation, également sur une durée totale d’un an. Dans les deux cas, les candidats sont sélectionnés sur leur motivation et leur appétence pour l’informatique.
Le Geiq Numérique Occitanie, avec plus d’antériorité, a monté quatre parcours en alternance sur un an, débouchant sur l’obtention de titres professionnels allant des niveaux Bac à Bac+3 : concepteur développeur d’applications, technicien réseaux et télécommunications, web designer/chargé de communication, et technicien d’assistance informatique. Avec les mêmes critères que le Geiq Numérique des Alpes concernant les profils recrutés. À souligner que les titres décernés à l’issue des formations sont tous reconnus par l’État, ce qui revêt de l’importance au regard d’autres formations plus ou moins adaptées, comme l'évoquait Carine Martin, directrice du Geiq Numérique des Alpes, dans cette interview croisée.
Quels sont les profils des candidats qui se présentent pour intégrer un parcours Geiq ?
Carine Martin : Beaucoup de personnes en reconversion, dans une tranche d’âge allant de 25 à 40 ans. Notamment des jeunes un peu perdus dans leur orientation professionnelle, qui ont une appétence personnelle pour le numérique en tant qu’autodidactes et qui trouvent leur voie grâce à nous. Nous recevons également pas mal de migrants qui ont déjà été formés dans leur pays d’origine et qui sont très motivés. Ils viennent d’Afghanistan, d’Iran, du Qatar, des Comores… Et aussi des 35-40 ans en reconversion après une première carrière professionnelle, comme un ancien commercial, un éducateur spécialisé… Des publics aux profils différents de ceux habituellement accompagnés par les Geiq.
Sophie Audugé : Dans notre région aussi nous accueillons beaucoup de personnes en reconversion professionnelle, dont beaucoup sont issues du secteur de la restauration, effet post-Covid oblige. Ainsi que d’anciens employés ou cadres commerciaux, ce qui est excellent car, grâce à leur parcours, ils connaissent bien la relation client. Mais aussi des anciens du bâtiment, voire des profils ayant des parcours à l’étranger. Tous ont déjà des bases techniques. N’oublions pas chez nous aussi quelques seniors, d’une moyenne d’âge de 55 ans, qui ont besoin de reprendre confiance en eux, et des bénéficiaires de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).
Quelles sont les perspectives de développement de vos deux Geiq, pionniers dans un secteur jusque-là inexploité ?
Carine Martin : Notre stratégie est d’investir ce secteur petit à petit, d’y aller doucement, de prendre le temps d’expliquer qui nous sommes et comment nous procédons, notamment aux organismes de formation comme le GRETA, mais aussi auprès des opérationnels des entreprises qui emploient des personnels dédiés au numérique. Avec notre accompagnement, l’alternance et le tutorat, nous avons des spécificités qui, jusqu’à présent, n’existaient pas dans le secteur du numérique. À nous de les faire valoir, les promouvoir, les faire comprendre, car nous sommes différents dans un marché des formations ultra concurrentiel où on trouve vraiment de tout. Chez nous, c’est du sérieux, sans paillettes. Je dis cela car nous récupérons parfois des publics méfiants, ayant payé de leur poche ou utilisé leur CPF pour suivre des pseudos formations délivrant des « diplômes » non reconnus.
Sophie Audugé : Comme Carine, je pense qu’un des enjeux majeurs de notre développement, c’est la communication et la vulgarisation. Il faut faire connaître notre modèle à la fois aux publics bénéficiaires et aussi aux entreprises et recruteurs. La préparation opérationnelle à l’emploi est importante, également, dans l’approche de l’alternance. Il nous faut construire des parcours qualitatifs par étape, instaurer plus de confiance entre salariés et tuteurs. L’idée est d’aller proposer de la nouveauté dans un secteur ultra concurrentiel, afin de faire valoir nos spécificités : alternance, profils de nos bénéficiaires, tutorat… À ce titre, notre projet prévoit de sensibiliser les tuteurs en entreprise, qui souvent préfèrent recruter directement en intérim ou en CDD. Il faut être à l’écoute fine des besoins des marchés régionaux de l’emploi et être suffisamment souple pour s’y adapter. Par exemple, en septembre 2024, nous lancerons un nouveau parcours pour former des techniciens en support logiciels.
Note : l’entretien croisé a été réalisé avec la participation complémentaire de Bénédicte Granier, chargée de mission au Geiq Numérique des Alpes
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Incursion instructive en plein cœur du Pays Basque à Hasparren dans le département des Pyrénées-Atlantiques, sur l‘un des sites du Groupe Lauak, adhérent du Geiq des Industries Technologiques d’Aquitaine. On y retrouve Angelina, jeune quadra énergique qui, depuis juin 2023, suit une formation particulière, interne à Lauak. Dans ce contexte, la formule du dispositif Geiq est nouvelle pour cette entreprise.
À seulement 19 ans, Nathan a déjà derrière lui quatre années d’expériences diverses dans l’industrie. Il cherchait sa voie, il l’a trouvée grâce au Geiq Industrie 71 chez le poids-lourd industriel français Alstom. Très bien encadré, il travaille à l’assemblage de bogies qui équipent notamment les rames de trains ou de métro pour les JO 2024.