On parle beaucoup d’une société du plein emploi. Plus on s’en rapproche, plus les entreprises vont avoir du mal à recruter. Comment faire pour remédier à ces difficultés de recrutement ? Quelle place pour les dispositifs d’inclusion comme les Geiq ?
Olivier Dussopt : Ma feuille de route est claire : le plein emploi pour tous. Je suis convaincu qu’accéder à une activité professionnelle est source d’émancipation, de dignité pour les personnes et que l’emploi peut aussi réparer certaines formes d’injustices ou de déterminisme social.
Le plein emploi est à portée de main si nous nous en donnons collectivement les moyens. Entre 2017 et 2022, nous avons fait la première partie du chemin. Il nous reste à faire la seconde.
Sur le premier quinquennat, nous avons créé 1,5 million d’emplois salariés. Le taux de chômage a baissé de plus de 2 points, passant de 9,5 % à 7,4 % au deuxième trimestre 2022.
La France reste un pays où malgré cette amélioration, le taux de chômage reste plus élevé que la moyenne européenne. Dans le même temps, il n’y a jamais eu autant de tensions sur les recrutements avec 60 % des entreprises qui disent rencontrer des difficultés pour embaucher et 30 % des PME industrielles qui nous disent même être limitées dans leurs capacités de développement de leur production pour des questions de pénurie de main-d’œuvre.
Le constat est clair : plus nous approchons du plein emploi, plus les personnes sont éloignées du marché du travail et parfois sorties des radars « institutionnels classiques ». La difficulté va donc être accrue mais je reste convaincu que nul n’est inemployable, dès lors que l’on met en œuvre le bon accompagnement de la personne et de l’employeur.
Les pouvoirs publics ne peuvent pas se satisfaire de verser une indemnité chômage ou une allocation. Notre responsabilité, c’est de garantir un accompagnement personnalisé qui conduise vers un emploi durable. Je vais avoir besoin de l’engagement et de l’investissement de tous. Tous les leviers vont devoir être activés. Dans cette perspective, le gouvernement maintient son appui au développement des structures de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE) et des Geiq qui proposent des parcours qui visent l’emploi durable.
Face aux tensions de recrutement actuelles, les Geiq présentent l’intérêt de faire monter en compétences les personnes afin de répondre pleinement aux besoins des employeurs. Par ailleurs, le tissu économique national est composé majoritairement de TPE et de PME, les Geiq permettent de décharger ces employeurs d’un certain nombre de charges, notamment administratives liées à la conclusion d’un contrat en alternance. C’est pour ces raisons qu’en mars 2022, alors Ministre délégué chargé des Comptes publics, j’ai porté la mesure de revalorisation de l’aide de l’État concernant l’accompagnement personnalisé délivré par les Geiq à leurs salariés en insertion. Le budget alloué pour les Geiq sera reconduit en 2023, malgré un exercice budgétaire plus complexe que les années précédentes.
Vous entrez dans une période de concertation autour de France Travail. Pôle Emploi étant l’un des principaux prescripteurs des Geiq, quelles sont vos attentes par rapport aux acteurs de l’insertion dans ces concertations et quelle place pour ces structures demain dans France Travail ?
Je tiens tout d’abord à rappeler que l’ambition de France Travail n’est pas de créer une superstructure. L’objectif est de rechercher une meilleure coordination des outils et des acteurs pour améliorer l’offre d’accompagnement des demandeurs d’emploi, mais également l’offre de services à destination des entreprises.
Aujourd’hui, nous nous appuyons sur un grand nombre d’opérateurs sur les territoires, cela permet d’apporter des solutions variées et témoigne de la richesse de l’engagement des acteurs. Le système demeure néanmoins complexe, difficilement lisible pour les personnes et les employeurs qui ont parfois le sentiment d’être face à une multiplicité de structures qui ne sont pas en lien entre elles.
Nous avons d’ores et déjà identifié certains points majeurs d’évolution, tels l’amélioration du diagnostic et de l’orientation, le renforcement du suivi pour éviter les ruptures de parcours, la mutualisation de l’offre de services proposée dans les territoires avec une mise à disposition d’outils numériques communs.
L’IAE et les Geiq, en ce sens qu’ils participent à enrichir la palette de l’offre de services proposée aux personnes, ont toute leur place dans France Travail. J’ai demandé à l’équipe de Thibaut Guilluy, préfigurateur de France Travail, de se rapprocher des têtes de réseaux des modèles de l’IAE : chantiers d’insertion, entreprises d’insertion (EI), entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), entreprises d’insertion par le travail indépendant (EITI), associations intermédiaires (AI), Geiq pour enrichir le chantier en cours.
Je veux amorcer les années à venir avec un nouvel état d’esprit : certes poursuivre le développement quantitatif de l’IAE et des Geiq, mais aussi être attentif à la qualité des parcours développés.
Cette ambition qualitative doit guider la nouvelle feuille de route pour l’IAE que nous allons co-construire avec le secteur dans les prochaines semaines, et que viendra nourrir le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’IAE, dont les conclusions seront présentées fin novembre.
Les Geiq réalisent une véritable ingénierie des parcours de formation en mêlant période de découverte, préqualification, modularisation, qualification… Comme les autres structures de l’IAE, ils devront veiller à renforcer le « aller vers » pour aller chercher les plus éloignés de l’emploi, mais aussi à sécuriser les sorties à l’issue des parcours.
Durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, l’alternance a bénéficié d’un soutien important, notamment au travers des aides exceptionnelles. Quels sont vos objectifs pour la suite ?
L’aide exceptionnelle a eu un effet indéniable sur la croissance exceptionnelle qu’a connu l’apprentissage, mais ce succès est également celui de la loi du 5 septembre 2018 pour choisir son avenir professionnel, qui a permis une véritable libération de cette voie de réussite et a durablement transformé son image auprès des jeunes et de leurs familles.
Le Gouvernement porte une ambition claire en matière d’apprentissage pour ce nouveau quinquennat : atteindre, d’ici 2027, un million de nouveaux apprentis par an. Pour cela, nous poursuivrons nos travaux afin de lever les derniers freins à l’apprentissage, en simplifiant d’avantage les démarches administratives et en renforçant l’usage de ce contrat au sein des trois fonctions publiques, pour mieux former les agents publics et soignants de demain.
Nous veillerons également à maintenir un haut niveau de soutien aux entreprises qui s’engagent pour la formation de nos jeunes, en déterminant une nouvelle aide à même de soutenir la dynamique engagée depuis 4 ans.
Le secteur de la formation professionnelle a été réformé en profondeur lors du dernier quinquennat, avec notamment la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel en 2018. D’ici la fin du prochain quinquennat, envisagez-vous de nouvelles réformes structurelles autour de la formation et de l’alternance ?
La loi de 2018 est un succès. Les Français se forment plus, plus librement et mieux. Les transformations rapides que connaît le marché du travail et les enjeux fondamentaux auxquels notre économie se doit de faire face nécessitent toutefois que nous agissions afin de parvenir à notre objectif d’une société du plein emploi.
C’est pour cela qu’avec le concours de la ministre déléguée à l’enseignement et à la formation professionnelle, Carole Grandjean, nous ouvrirons prochainement plusieurs chantiers dans la lignée des réalisations de la loi de 2018. En matière d’apprentissage d’abord, en simplifiant sa gestion pour les employeurs et en rendant plus lisible son système de financement.
Nous veillerons également à agir en faveur d’une plus grande qualité des formations délivrées dans notre pays, tout en modernisant notre politique nationale de certification, qui doit mieux répondre aux grandes transitions de demain : climat et énergie.
Nous avons ensuite proposé un véritable big bang de la Validation des acquis de l’expérience (VAE), qui ouvrira la voie à un dispositif plus simple, plus modéré et synonyme de plus de réussite pour l’ensemble des actifs.
Enfin, nous souhaitons profondément simplifier l’accès aux transitions professionnelles. Pour les salariés bien sûr, comme pour les entreprises. Pour cela, nous serons amenés à proposer une refonte des dispositifs existants, aujourd’hui trop nombreux, hétéroclites et finalement peu lisibles.
L’alternance, c’est pour tous les âges. Mais c’est un outil souvent oublié pour l’insertion ou la reconversion des personnes de plus de 30 ans par le contrat de professionnalisation. Aujourd’hui, plus de 50 % des publics Geiq ont plus de 26 ans. Comment mieux faire connaître et mobiliser cet outil permettant la professionnalisation et la mise en pratique en entreprise ?
Le contrat de professionnalisation sera au cœur de notre action. Nous ne souhaitons pas la fusion des deux contrats d’alternance. Le contrat d’apprentissage, en ce qu’il relève de la formation initiale, contribue à l’effort éducatif de la Nation et conserve une large part de savoir généraux dans sa pédagogie. Le contrat de professionnalisation poursuit quant à lui un objectif d’insertion dans l’emploi par acquisition rapide des gestes professionnels.
Nous pensons qu’une fusion mettrait à risque les deux contrats en atténuant leurs avantages respectifs. Au contraire, c’est un repositionnement du contrat de professionnalisation sur les publics adultes, y compris salariés, pour faire de ce contrat le contrat de référence de la formation alternée après 30 ans, que ce soit au service des demandeurs d’emploi comme des personnes souhaitant évoluer ou se reconvertir.
Cela devra s’accompagner d’une refonte de la gestion et du financement de ce contrat, plus moderne et plus lisible pour les organismes de formation et les employeurs.
Enfin, nous souhaitons le rendre plus modulaire, en le positionnant comme support juridique à des parcours innovants et fortement individualisés comme les parcours de « VAE inversées » [Ndlr : forme de simplification de la VAE qui permettra de reconnaître plus facilement le niveau d'une personne qui n'a pas forcément eu un diplôme mais qui a acquis des savoir-faire par son expérience professionnelle] que nous expérimenterons dès l’adoption du projet de loi « marché du travail ».
À PROPOS D'OLIVIER DUSSOPT
Né le 16 août 1978 à Annonay, ville dont il a été maire de 2008 à 2017, Olivier Dussopt est député de la 2e circonscription de l'Ardèche depuis 2007.Il a également été conseiller régional de Rhône-Alpes de 2006 à 2008. D'abord secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics de 2017 à 2020, il a ensuite été ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics de 2020 à 2022. Depuis le 20 mai 2022, il est ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion dans le gouvernement Élisabeth Borne. Il a été réélu député de la 2e circonscription de l’Ardèche le 19 juin 2022.
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